Travail et bonheur, un paradoxe philosophique ?

Lors de la rencontre organisée le 29 mars 2013 par Opium philosophie et la Fabrique Spinoza à Sciences po, deux philosophes, Martine Verlhac et Geoffroy Lauvau, ont soutenu leurs points de vues respectifs quant au lien entre bien-être et travail.
Cette rencontre a été éclairante afin de pouvoir affiner la conception actuelle du travail et pour déterminer comment, en pensant de manière différente ce concept, et en agissant d’une autre manière sur celui-ci, on pourrait effectivement tendre vers une idée de travail qui soit à la fois moyen et finalité du bien-être.
Loin d’être en confrontation, les deux intervenants ont apporté des thèses finalement complémentaires, tout en ayant des approches différentes philosophiquement parlant. Voici quelques idées saillantes soulevées lors de ce débat :
I – De la centralité du travail
Le travail, défini comme activité transformant le réel, n’est-il pas en fait toute activité humaine? Sur la base de ce constat, Martine Verlhac, met le travail au centre de l’identité de l’homme car fondamentalement incontournable. Du fait même qu’il implique la modification de l’objectivité, le travail est donc chose difficile. On trouve dans cette pensée l’idée selon laquelle le travail peut être de nature pénible mais que cette pénibilité ne doit pas être confondue avec la souffrance qu’implique la subordination dans le travail qui est le résultat de l’organisation du travail et non du travail en tant que tel.
Il est important de relever cette distinction, car Martine Verlhac souhaite sortir le concept de travail de l’amalgame qui ferait du travail une activité fondamentalement abrutissante, fondamentalement aliénante. Elle rappelle donc que le bien-être est dans le rapport de l’individu à son travail en tant qu’activité humaine et donc en tant que pilier de l’identité de l’individu et non pas au travail comme condition de subordination au sien de l’organisation.
Cette contradiction entre la liberté dans la cité et la subordination en entreprise ne rend-elle pas la construction de l’identité de l’individu plus problématique?
II – Le bien-être au travail un impératif de justice sociale?
En reconnaissant d’emblée la centralité du travail dans la constitution de l’identité de l’individu, Geoffroy Lauvau apporte une contribution plus économique. Il s’appuie en effet sur une mise en perspective des philosophes libéraux qui ont tenté de concilier le bien-être et le travail. En partant de l’idée de John Stuart Mill pour qui le bien-être est la somme de préférences individuelles, il souligne le fait que les préférences individuelles de tout un pays pourraient ne pas converger harmonieusement.
De même, au sein même de la société, certaines catégories sociales peuvent vivre le travail comme un plaisir en soi en optimisant ainsi l’utilité du travail. D’autres, souvent les plus défavorisées, le vivent ou espèrent le vivre (les chômeurs) uniquement comme un moyen pour construire son identité dans un premier temps et pour obtenir le bien-être ultérieurement.
En assumant cela, est-ce que le travail comme moyen pour le bien-être, ne serait pas désutile à sa fonction primaire? Si oui, est-ce qu’un redimensionnement de l’économie de marché et de l’aliénation qu’elle induit ne pourrait être envisagés afin de rendre au travail son utilité optimale pour l’ensemble de la société?